Pourquoi Mark Zuckerberg porte tous les jours le même t-Shirt ?
A la fin des années 1990 le psychologue américain Roy Baumeister de l’Université de Floride, a montré que la volonté, comme un muscle, pouvait se fatiguer. Et que les choix non routiniers fatiguent la volonté.
Gilles Lafargue : Ce n’est pas un choix unique mais l’accumulation de certains petits choix, ceux qui nécessitent un effort de volonté (y compris les plus triviaux), qui est susceptible d’affecter les prises de décisions ultérieures.
La surabondance de choix à effectuer tous les jours générerait ce que le psychologue américain Roy Baumeister appelle la « fatigue de la décision« , liée au concept freudien de « l’épuisement de l’ego« .
Concrètement, de quoi s’agit-il ?
A la fin des années 1990 le psychologue américain Roy Baumeister de l’Université de Floride, a montré que la volonté, comme un muscle, pouvait se fatiguer. Il a par exemple montré que le fait de résister à la tentation de manger du chocolat affectait la capacité ultérieure à réaliser une tâche requérant également un effort mental, comme effectuer un puzzle. Il a nommé ce phénomène « épuisement de l’ego » ou « épuisement du moi » (ego depletion en anglais), par référence au moi freudien : l’une des trois instances de l’appareil psychique avec le ça et le surmoi. Le Moi est la partie la plus consciente de la personnalité. Il est soumis au principe de réalité et peut s’épuiser à lutter contre les pulsions du ça pour les rendre conformes aux règles morales et sociales.
C’est juste un clin d’œil à Freud car la perspective de Baumeister n’est en rien psychanalytique. De façon générale, les résultats de ses études suggèrent que toutes les fonctions du Moi qui impliquent une volonté consciente – faire des choix délibérés, prendre des décisions, initier ou inhiber des comportements – reposent sur une ressource énergétique commune, limitée et fluctuante.
Les choix non routiniers, ceux qui ne sont pas automatiques et non conscients, mais requièrent une délibération consciente, fatiguent donc la volonté et diminue la capacité à prendre des décisions ultérieures. Une étude à laquelle a participé le prix Nobel d’économie Daniel Kahneman a par exemple montré que des juges peuvent être influencés par cette « fatigue décisionnelle » lors de décisions judiciaires. Les auteurs ont prouvé, en étudiant plus de mille dossiers de remises de peines à des prisonniers, que la remise de peine était plus liée à l’heure de la journée à laquelle la décision était prise qu’aux données objectives présentes dans le dossier.
Sommes-nous tous sujets à cette fatigue de la décision ? A quels mauvais choix nous conduit-elle ?
Oui nous sommes tous sujets à ce type de fatigue. Pour répondre à votre question je vais reprendre la métaphore du muscle mental qui s’épuise : les personnes ont plus ou moins de force physique et se fatiguent plus ou moins vite, mais tout le monde ne fait pas du sport de haut niveau et n’a pas besoin d’être en permanence au summum de sa force physique. C’est exactement la même chose pour la force de volonté. Il ne faudrait pas que tous les humains décident de s’habiller toujours de la même façon, comme Eric Satie ou Marc Zuckerberg, sous prétexte d’économiser leur énergie mentale et d’optimiser leurs capacités de décisions ! Les décisions prises par tout un chacun au quotidien ne requièrent pas la préparation d’un sportif ou d’un chef d’entreprise de haut niveau.
Il faut aussi préciser que les résultats de la recherche ne sont pas aussi simples que cela. Des études publiées dans les plus grandes revues scientifiques suggèrent par exemple que pour certains types de décisions complexes, les décisions rapides, intuitives, sont statistiquement plus pertinentes que les décisions prises sur la base de délibérations conscientes où ont été pesés le pour et le contre.
Pour en revenir aux travaux de Baumeister, selon lui, toute activité qui réduit notre niveau limité de force mentale réduit les capacités subséquentes de contrôle conscient sur le monde et sur soi-même : on aura plus tendance à avoir des comportements automatiques, routiniers, à faire des choix par défaut et à se laisser aller à nos impulsions.
Gilles Lafargue
Psychologue, docteur en neurosciences.
Maître de Conférences à l’Université de Lille